Je n’ai pas connu l’abus mais je connais la Nuit. C’est une bête à deux têtes, terriblement douce et féroce. Capable d’étreindre et de pétrifier autant d’étoiles sans jamais vouloir les briser, parce qu’elle dépend d’elles, brillants rhapsodes garants d’éternité. L’étoile, l’oiseau, l’aède n’a pas le choix du repos. Son répit est conditionné par ce que veut la Nuit. Le pacte ainsi posé, imagine un ibijau tourner autour d’un touraco ou s’en prendre à lui. Je suis un oiseau de cette Nuit, avec laquelle je joue, je chasse et fuis, et lorsqu’elle se laisse dompter, ce n’est pas qu’elle le fait en réalité, c’est moi qui la défie, quand je décide de m’envoyer en l’air à travers une lucarne de rêve en pensant au tumulte des ténèbres, porte-voix de la Nuit. Le tumulte de la rencontre ne se dit pas, il se vit. À se mouvoir en lui on finit par voir trouble, double, c’est jouissif et effrayant, vois-tu, comme ce pacte mystérieux. Mais c’est un privilège qui coûte. Etre mandaté pour faire l’épopée, c’est vivre le jour en pleine nuit — est-il fictif ce jour quand vient le moment de s’envelopper dans des draps tissés de reflets étranges familiers confondus dans un délire d’absences lucides ? Quoi qu’il en soit, la Nuit tarife à la plume. Les plumes qu’on veut bien lui laisser pour étoffer son carquois en guise de trophée. Jusqu’au prochain vol de nuit.
f.

« La nuit m’encercla, photographie décollée de son cadre.
Une doublure de manteau se fendit comme les deux coquilles d’une huître.
Disjoints, le jour et la nuit – et dans leur fêlure je tombais ne sachant sur quel lit je reposais, si c’était sur la plus haute feuille de l’aube, la grise et la froide, ou sur la couche sombre de la nuit. »La Maison de l’inceste, Anaïs Nin, extrait repris dans Je serai le feu, par Diglee
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