Chose promise, chose due, enfin si je peux formuler cela ainsi. Pour les lecteurs qui me suivent depuis quelques temps sur laplumefragile, ils savent que j’avais entamé la lecture de ce roman, qualifié en quatrième de couverture d’ »ovni littéraire » ou OLNI, objet littéraire non identifié. Grâce (?) au confinement, je peux enfin en livrer ma critique, formulée à l’auteur directement, via son site : Là Haut.
La lecture de Kundalini fut une expérience sensible, vivifiante, périlleuse et douloureuse à certains moments, interactive et riche. « Interactive », le qualificatif peut sembler curieux, mais c’est un peu mon sentiment général vis-à-vis de ce récit : on peut presque sentir ces âmes en ébullition – oui, leurs étreintes au pluriel et leur étreinte au singulier sont vives, denses, amplifiées par le style de l’écriture et le choix d’envolées qualificatives – si bien que j’ai eu l’impression de les ressentir. C’était aussi très fort lors des instants d’escalade. Je peux bien déceler les passions qui animent l’auteur -grimpeur né – de ce texte abrupte et escarpé qui tente d’acheminer un lecteur dans la voie sinueuse de l’Amour et des Sens, et de la Spiritualité (ce terme reste encore énigmatique pour moi), malgré les fosses, creux et crevasses, surfaces lissées et solides en apparence mais fragiles en réalité ; ces activités physiques (yoga et escalade) étaient pour moi riches en symboles et métaphores. En tout cas, j’ai voulu y voir cela sous ces angles. Ma lecture n’est qu’appréciative et comme n’importe quelle lecture, subjective. Mon regard est peut-être biaisé par le fait que j’ai vécu une forme de synchronicité entre le moment de ma « rencontre » fortuite avec l’auteur, le moment de découvrir ce livre commandé expressément, et les moments qui ont jalonné ma vie pendant cette année écoulée. Autant d’éléments qui, forcément, influent sur mon expérience de lecture et l’analyse que je peux en tirer. Pratique sportive, écriture, expériences personnelles et professionnelles, vies de couples : autant de similitudes rencontrées qui m’ont aidée à plonger davantage dans ce récit, que je comprends mieux qu’il soit qualifié d’« ovni littéraire » après l’avoir lu. En effet, il m’est difficile de le classer.
Le style est déroutant : il y a beaucoup de répétitions, sans qu’elles n’en soient vraiment. Il y a un effort certain et prononcé dans les descriptions (analogies entre anatomie humaine et nature : le végétal et le minéral sont omniprésents « sève, pistil, ruisselant, navires de pluie, flux magmatique, tige, liane… »). L’accumulation d’adjectifs n’a pas été facile à digérer. Ce n’est qu’au fil de la lecture que je m’y suis habituée. Ce flot est d’ailleurs facilité en contrepartie par l’utilisation d’un champ lexical très dense lié à la nature, justement. Kundalini, l’étreinte des âmes est un récit fluidique, vivant. Il m’a donné l’impression de voyager parfois au sein de mon propre corps : grâce à l’expérience de Maud, on apprend que des événements inconnus (car non élevés à notre conscience ou reniés, ignorés par peur de ce qu’ils pourraient représenter) se déroulent en nous, dans un espace qui nous est invisible à l’œil nu mais qui existe bel et bien par les manifestations que l’on peut observer à l’extérieur de son corps. Un peu comme le cosmos, cet univers qu’on sait exister, sans qu’on n’ait jamais pu l’observer véritablement outre par des représentations imagées ou dans un observatoire ; qu’est-ce que c’est ? Cette notion de l’univers est d’ailleurs abordée dans le roman de façon sporadique et plus ou moins diffuse, lorsque Maud découvre les ouvrages de Sat et qu’elle commence à s’interroger sur les manifestations physiques dont elle est témoin et qui l’ébranlent (forces, chaleur, vibrations). Kundalini frôle un peu le genre de la science-fiction à certains moments. Cette divinité, ces visions, à quoi correspondent-elle ?
L’auteur parvient à maintenir le lecteur en haleine par cette dimension « cosmique » et divine, tout en restant collé à la réalité : des histoires communes, des lieux communs, des vies de couples et des orientations professionnelles que tout un chacun aura pu connaître un jour ou l’autre dans sa vie. Il questionne notre sexualité du quotidien d’une manière tout à fait éclairante et lucide. C’est toute la force du roman : nous interpeller et nous fasciner pour un terrain d’observation a priori connu mais dont nous ignorons beaucoup de choses, ou qui nous semblent obscur, difficile à comprendre tant les barrières sont réelles mais intangibles. La sexualité est complexe, ce n’est pas nouveau, on le sait (et encore, beaucoup l’ignorent !). Dans Kundalini, il n’est jamais question de tabou, ce terme n’existe même pas puisqu’il ne s’agit pas de cela. D’ailleurs, très tôt, Maud oublie qu’elle a des complexes, et se libère très rapidement de ces chaînes invisibles façonnées par une société étriquée – elle s’en étonne elle-même). Enfin, Sat sert de guide évidemment, tout au long du roman : la notion d’apprentissage constitue ce fil conducteur pour intéresser le lecteur et l’amener à pousser la porte de la curiosité intérieure. Non pas qu’il s’agisse d’un dépassement de soi à réaliser (quand bien même Maud tente de se dépasser par moment, mais c’est qu’elle se cherche, elle-même avant tout, on sent bien qu’elle tente de se « réinventer »). En effet il s’agirait plutôt de cerner, d’appréhender l’association de forces centripète puis centrifuge, ce que l’auteur qualifie je crois de « dimension énergétique conscientisée ». Kundalini nous invite à regarder en nous et à nous interroger sur les comportements qui nous animent et les actions qui nous dirigent (alors que c’est ce nous qui devrait diriger l’action et non l’inverse), afin d’aller au-delà d’une individualité bridée et renfermée. « L’orgasme n’est pas un objectif mais un moyen d’aller plus loin ».
L’orgasme. Bel outil magnifié tout au long du roman, sous plusieurs formes (mentale, physique, émotionnelle). Je pense que c’est aussi pour cela que j’ai eu l’impression de vibrer parfois au contact de ces deux protagonistes (la danse de Maud m’a transportée). Kundalini fait la part belle à ce que je qualifie peut-être maladroitement d’outil, mais je trouve qu’il y a une certaine forme de technicité de ce texte, induite par cette notion d’apprentissage. La physique des corps n’est-elle pas représentée à chaque page ? Les forces (naturelles, divines, physiques) ne sont-elles pas dans toutes les lignes ou en filigrane ? j’ai seulement regretté parfois la présence de (trop de) points de suspension qui me laissait un goût d’inachevé ou d’incapacité à réussir à finaliser un chapitre, un passage ou à mettre un point d’orgue ou une ligne de fuite à une action, une étape à franchir, ou une émotion. Ne s’agissait-il que d’un brouillon, en définitive ? le projet n’a-t-il été imprimé, parachevé qu’à l’état de « projet » et non d’accomplissement ? Je ne le pense pas, mais…
Avant d’en arriver à la conclusion, Kundalini est aussi une œuvre fervente défenseuse de la nature et de sa préservation (par l’homme ! aussi étrange que cela puisse paraître). Sans pour autant être un roman versant dans l’apologie et la politique de l’écologie, j’ai trouvé intelligente la façon dont l’auteur se sert de Sat, ce guide ou mentor, pour transmettre un message positif à notre égard, nous, l’humanité. En effet, si la nature jalonne tout le roman comme ciment de la relation qui se tisse entre les deux personnages, elle est, elle aussi, LA personnalité de Kundalini. Les hommes sont capables de s’unir à elle, autant qu’ils sont capables de s’aimer, de s’unir à l’Autre. Alors, autant faire en sorte d’être à son écoute et de la protéger, en reconnaissant qu’elle est vulnérable. Aimer, écrit Thierry Ledru dans l’un de ses derniers billets, c’est accepter la vulnérabilité de ceux qu’on dit aimer.
Enfin, la fin. Je n’ai pas aimé la fin. Même si je peux comprendre que cela se terminait bien ainsi dans le schéma d’écriture de l’auteur. Le chapitre XXXIII était celui de trop. Il ne fait qu’une page et demie, mais elle n’était pas indispensable selon moi. Même si c’est poétique, j’ai regretté que tu ne t’arrêtes pas, cher Thierry, à ce dernier passage en italique qui fait office de belle péroraison, et qui nous fait dire que « mais oui, mais c’est bien sûr, cela ne pouvait finir que comme ça ».
En résumé, Kundalini, l’étreinte des âmes est un récit expérimental, fluidique, vivant, un roman exploratoire, une façon singulière d’explorer les corps, ses intrications et interactions avec le monde qui les entoure, comme il nous est rarement donné l’occasion d’entreprendre un tel voyage au centre de nous-mêmes.
f.

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