La plume et le pieu

Un tel titre annoncerait déjà l’issue d’une histoire. Vaut-elle la peine d’être racontée ? Écrivez ce que vous avez à dire, écrivait l’écrivaine qui évoqua dans une même phrase cette plume et ce pieu.
Une plume, c’est si doux, si volatile, si joli. Qui aurait cru que la plume pouvait être une arme, une arme à double tranchant qui plus est ? On savait déjà que « les mots tuent ». Mais en plus de tuer, l’outil qui permet de commettre ces crimes aussi sublimes qu’abominables est un danger ultime pour l’écrivain qui l’a manie. Poètes maudits. Écrivains désœuvrés, meurtris. Folie. Coups de fusils. Lettres assassines. Pages blanches et encres indélébiles. L’histoire qui recommence, sans fin. Éternel refrain. Le monde qui flanche. Coups de cœur, coups du sort, tous les coups sont permis : cartouche après cartouche, c’est la vie qu’on fauche, le doute qu’on sème, l’amour qu’on court, qu’on traîne. Amours déchues, amour naufrage, enfance perdue. Du fusil ou de la plume, qui a emprunté cette munition la première ? Que dit la linguistique dans cette affaire ? Le Cluedo littéraire est ouvert…
Et de quelle couleur est donc cette arme ? Voilà un outil qui peut vous en faire voir de toutes les couleurs. Prenez garde ! La plume qui sert de pieu est une arme blanche, une arme grise, une arme noire, une arme bleue, orange parfois aussi. La plume sévit lorsque nous nous faisons un sang d’encre. La plume s’envole lorsque l’on rougit, qu’on est bleu d’elle, bleu de lui. La plume accroche lorsque l’on rentre dans une colère noire. La plume est blanche comme une sainte qui ne cherche ni à juger ni à rendre des comptes, pourtant, parfois elle tranche ! Cette arme est blanche bien qu’elle puisse s’enflammer. La plume est pieu lorsque sa pointe nous transperce le cœur, lorsque le cœur saigne, lorsque le pieu bien enfoncé le brise en deux.

L’écriture,
c’est le cœur qui éclate
en silence. »(Christian Bobin)

La plume. Quelle plus belle arme pour mourir en beauté, on en est digne d’avoir un jour osé la poser sur du papier. Quelle arme qui permet de se tuer et de tuer les autres d’un seul coup de trait simultané. La plume donne la vie et ordonne la mise à mort parfois sans compromis.
La plume sert à survivre, à se survivre à soi-même, et la plume sert à oublier.

Oublier est une mort pleine de vie. Donc une mort tangible et, en ce qu’elle est tangible, atroce.

Si oublier, c’est mourir, comme l’écrivait Goliarda dans ses Carnets, alors la plume ou le pieu ? Quelle différence ? CQFD.

Ah, les affres de l’oubli ! J’en oubliais que la plume est fragile, aussi…

Sur ce, il est temps de fermer ses paupières, de s’enfoncer dans l’oreiller. D’apprécier le confort somme toute temporaire de belles plumes caressantes, réchauffantes et enveloppantes garnissant l’édredon douillet déposé sur un lit que l’on nomme aussi communément pieu. C’est élémentaire pour celui qui écrit tout comme celui qui lit.

Bonne nuit !

f.

cartouches d'encre

2 réflexions sur « La plume et le pieu »

  1. J’ai vu « linguistique » et je n’ai pu m’empêcher de te prendre… au mot ! Tu m’as rendu curieux, et je suis allé fouiller : autant pour la poésie, c’est l’armurerie qui a eu le premier mot en termes de « cartouche ».

    Emprunt attesté en 1571 à l’italien « cartoccio » remontant au XIVème siècle, le mot s’est levé tôt dans notre grand champ lexical militaire. Le stylo-plume n’est apparu qu’à la fin du XIXème siècle et les cartouches modernes n’ont pas toujours été le seul système de recharge.

    Pour des définitions plus pacifiques, on s’en sortira mieux avec UN cartouche. Merci pour ton article !

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