Cher F.,

Va savoir pourquoi je traîne toujours cette brutale et vive synchronicité derrière moi. Non, ce ne sont pas des casseroles en soi, loin de là. Et c’est même très bien puisqu’elles font mes affaires, ces coïncidences quotidiennes et littéraires. Elles pourraient donner du grain à mon « grimoire », cette Estampe qui n’a pas du tout encore pris forme mais qui mijote là-haut. Oui, comme une compote. Je viens de faire une compote de rhubarbe. Un peu trop sucrée. On verra une fois qu’elle aura refroidi, quand le sucre sera retombé. Donc, cette histoire de compote qui m’a complètement remuée, je te la raconte en deux coups de cuillère à pot ici, même si tu l’avoueras in fine, il n’y a pas de quoi en faire tout un plat : terminée, ma popote, terminé de manger, rangée, la vaisselle, me voilà livrée à moi-même et à mes errements de lecture et d’écriture – c’est si rare ces derniers temps – que je replonge sans tarder dans les Lettres à Dominique Rolin par Ph. Sollers dont je t’ai déjà parlé, et qui me plaisent de lire au plus au point tant je peux nous retrouver dedans, mon petit Roussin. J’arrive à la fin du recueil. Je suis impatiente d’entamer les lettres réciproques de D. Rolin à Philippe Sollers. J’entame donc une nouvelle lettre (#179, 31/7/1975), qui se termine justement sur une histoire de… Compote. Voilà tout. Ph. Sollers écrit : « J’aime beaucoup ton histoire de compote. C’est ça. » Et il y a une note qui renvoie à la lettre en question de D. Rolin qui écrit : « […] Insomnie de la nuit. À quatre heures je me lève, soulève le rideau de fer de ma fenêtre, sens une insolite odeur de compote de prunes, et tout à coup – insolitement aussi, tu l’avoueras – rage de bonheur comparable à une rage de dents à en juger par sa force et sa brutalité. » La rhubarbe cuite n’a pas déclenché pareille rage chez moi, mais j’espère qu’il te plaira d’en goûter. Tes dents, somme toute sensibles, résisteront, je te le promets.

Tous ces fruits – c’est de saison, ça y est, nous y sommes – pour dire que ce moment hors du temps dans les champs cachés, reclus au cœur de la ville, lieu insoupçonné car insoupçonnable tant il est bien dissimulé, une vraie cachette secrète, comme sous ce pommier qui a servi de refuge aux enfants pendant trois heures durant, avec toi, c’était fabuleux. Le temps des cerises au vrai, à l’air pur, aux clichés de bonheur, vieux et renouvelés de contemporanéité : nos petites têtes blondes attendant tels des oisillons la béquée pendant que le cueilleur du dimanche parvenait habilement à ramasser quantités de cerises grâce à un long bâton fourchu. Il le tendait, puis d’un tour savamment donné autour de la branche, la tige cédait à l’emprise, se tordait et c’est toute une rame de cerises qui venait. Fruits qui n’avaient pas le temps d’atterrir dans la poche du pauvre homme, puisqu’à mesure qu’il en cueillait, elles tombaient tout droit dans la bouche de nos gloutons aussi candides que féroces. Cette belle simplicité nous a fait du bien, n’est-ce pas. Un goût de Paradis (référence aux ouvrages de Ph. Sollers dont il parle à de multiples reprises dans ses lettres) bien juteux et sucré, prononcé au milieu d’une ville poussiéreuse, âcre et dégoulinante de trop de,… trop de tout. Heureusement que le peu et le trop peu sont préservés. Nous sommes vernis. Et te retrouver dans ces conditions, c’était… !

Je t’embrasse, je t’aime sucrement !

f.

Texte et photos : laplumefragile

2 réflexions sur “De la compote et du temps des cerises

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