18h00.

Le vent est tombé. La clarté s’estompe. Au dernier tour, je serai dans la pénombre. Si je poursuis, si je force, si je vais un peu plus loin dans l’exercice, je courrai dans l’obscurité, avec quelques lampadaires pour compagnons solitaires pour m’éclairer.

L’air est frais, le soir est clair. Bonnes foulées. Au bout de quelques mètres, je sens mon genou, le même qui m’avait fait souffrir l’autre jour. Est-ce qu’il va se mettre à hurler ? est-ce que la douleur sera aussi vive et est-ce qu’elle va durer ? Devrais-je m’arrêter ? déjà ? Je me sens bien pourtant. Le souffle est bon. Les enjambées restent courtes mais le rythme est parfaitement régulier. La douleur ne se fait pas ressentir si fortement en définitive. Elle demeure, latente, silencieuse, sans jamais mourir. Mais comme ce terrain-ci n’est pas vallonné, je vais pouvoir continuer. Prendre du plaisir sans souffrir.

C’est bon. C’est très bon même. Je sais que je n’aurai même pas besoin de m’arrêter. Même pas pour prendre une gorgée d’eau au deuxième tour. Jamais de pause. C’est rare. L’équilibre est trouvé, le corps est aligné sans se tenir parfaitement droit. Une jambe après l’autre. LÉVITER. Enjamber. Se faufiler entre deux arbres. Rebondir. Toujours rebondir. Sentir la chair de la terre meuble s’engouffrer dans mes semelles et toujours en ressortir à chaque pas, à chaque saut.

La fatigue va bientôt me donner un petit signal. C’est bientôt la fin. Je me suis égarée dans mes pensées. J’en ai perdu le nombre de tours mais cela est vraiment sans importance. Ou bien peut-être que c’est cela même l’important : ne plus compter.

Cinquième, sixième tour ? J’ai continué sans jamais cesser d’écouter mon corps qui sait où il va, ce qu’il fait, comment il le fait. Nous avons un accord, lui et moi: plaisir, endurance, humilité.

f.