Cher F.,
Je sors capter la lumière. Comme l’année dernière, et les autres années encore, octobre s’embrase, irradiant le lac et son bois. C’est la saison flamboyante, ma préférée, et son lot de réminiscences. Après, on le sait, novembre va tout emporter, avec son lot d’embrun, de vent, de coups de froid répétés, jusqu’à ce que vienne l’hiver.
Je passe par les rues qui me sont toujours aussi familières, même si j’ai quitté le quartier il y a des années. Je passe dans ces rues où je découvrais balbutiantes mes premières amours, dans les ruelles des résidences où nous nous retrouvions après l’école ou le centre aéré. Je me rappelle les batailles d’eau et les parties de cartes à répétition. Il a toujours fait chaud – oui, pour la saison, indépendamment du débat sur le changement climatique que je ne connaissais pas autrefois – il a toujours fait chaud en cette saison-là. Déjà quand je suis née – ma mère te le racontera – « il faisait si doux quand tu es venue au monde », me dit-elle chaque année.
Alors mes impressions sont certainement un peu biaisées mais j’aime par dessus tout octobre et la chaleur de ces jours qui raccourcissent et qui rallongent à la fois. Demain nous « gagnerons une heure ». Une heure pour profiter de l’ensoleillement. Une heure pour embrasser la vie et cette nature radieuse un peu plus longtemps. Quel est ce débat stérile sur l’abolition du changement d’heure ? Oui, je sais, du temps de la guerre, il fallait économiser l’énergie, ce temps serait révolu. Mais aujourd’hui, du temps des bouleversements climatiques, il faut aussi faire des économies. Mais si tu veux mon avis, les gens s’ennuient et ne cherchent qu’à faire parler d’eux. C’est comme ces politiques qui ont supprimé le titre « mademoiselle », qui heurterait les plus sensibles d’entre elles. Des balivernes, tout ça.
Regarde-moi ce ciel bleu : il est explosif et brille aux côtés de l’or végétal. N’est-ce pas beau ? N’est-ce pas formidable de jouir d’un tel spectacle ? J’ai envie d’être avec toi. Dans la chaleur des jours d’octobre et dans celle des nuits de pleine lune. Ah, Pauline… Les quartiers et croissants sont eux aussi magnifiques ces derniers temps. C’est comme si l’on voyait fleurir des colliers de diamant dans le ciel.
La vague de chaleur a submergé mon corps. Je suis éprise de l’automne comme de l’écriture, et du désir d’onanicité de m’envahir en même temps. Onanicité n’existe pas mais je voudrais l’inventer pour désigner ce phénomène très surprenant, envahissant et débordant qui survient et se manifeste de façon très instantanée chez moi. J’éprouve au cours d’un même instant le désir de contemplation, d’attouchement et de rédaction. Ces trois pulsions concomitantes se mélangent, et je me sens transportée. On pourrait parler d’onanirisme, un doux mélange d’onanisme et d’onirique. On dira que l’onanicité précède l’onanisme, sans que n’en découle l’acte nécessairement. Le monde pourrait s’écrouler que je ne le verrais pas. Mon corps devient aussi frénétique et fébrile que mon esprit. Je m’enivre d’être.
C’est dans cette condition que j’appréhende le mieux la liberté. Je me sens vivre. Seulement cela ne dure que quelques instants. Comme ces clichés où, d’une milliseconde à l’autre, la nature me donne un tout autre portrait. Je quitte alors le sentier et l’objectif le temps de revenir à moi, sans pour autant reprendre mes esprits. Maintenant, je suis enivrée. Quelle saine folie !
« Ressentir, c’est avoir l’esprit ailleurs », écrivait le poète Fernando Pessoa.
f.
sur les photos on ne voit que des têtes grises ou blanches._
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