Reprenons à son sujet : petits seins, cul ferme, cuisses un peu fortes (nage), jambes rondes, très bonne branleuse (la main glisse, les jambes se replient, la tête va de droite à gauche sur les oreillers), excellente toucheuse (finesse des doigts, on oublie toujours que l’italien toccare a donné toccata). Pas de confusion, si fréquente, entre clitoris, vagin et cul, trinité floue chez les femmes, largement méconnue chez les hommes, qui n’identifient que très mal les orifices, c’est connu. Pas de demande d’enfant, donc, ou à peine, comme le vague souvenir d’une époque préhistorique. Une jouissance rapide électrique, une lente en profondeur, avec une autre respiration, une autre encore, plus aiguë et presque entièrement mentale. Matin, sieste, nuit, ou le contraire. Tout cela vérifiable dans le rire, les mots, les modulations moqueuses ou tendres. La joie de parler pour parler, la possibilité d’écouter finement à fond, le don de musique. Pourquoi les êtres humains ne s’entendent-ils pas parler, docteur ? D’où vient qu’ils n’aient pas le retour de leur propre son ? Vous croyez que tout cela a un rapport ? La manière dont on jouit ? La façon d’utiliser les phrases ? (Ph. SOLLERS – Passion fixe)

Nous avons traversé la petite cour de l’hôtel rapidement. D’un pas décidé, nous avons gravi les escaliers. Les marches étaient très courtes, je les montai furtivement, tandis qu’il peinait à me rattraper. Il s’étonna d’ailleurs de la vitesse à laquelle je gravissais ces marches, si étriquées pour la longueur de ses pieds. Arrivés dans la chambre, j’eus à peine le temps de jeter un coup d’œil à la fenêtre pour apprécier la vue, qu’il m’avait déjà rattrapée. Il me tourna vers lui dans un élan volontaire et m’embrassa. Je me retrouvai aussitôt presque entièrement nue…

PabloPicasso-Nudansunjardin

La première fois, nous avions pris une douche avant de faire l’amour. Sans doute par pudeur, par hygiène, par respect pour l’autre, mais aussi pour se découvrir naturellement. Nous avions pris une douche en guise de préliminaires, un grand classique. Ils n’avaient pas duré très longtemps. C’était plus par principe que pour la pratique. Nous étions suffisamment excités, nous avions tellement envie du corps de l’autre, nous nous étions attendus si longtemps avant de nous découvrir physiquement que la réunion des corps sous la douche s’était poursuivie rapidement dans le grand lit blanc. Les « premières fois » qui suivirent, en revanche, il en avait toujours été autrement. Nous prenions notre douche après l’acte seulement. La première fois avait suffi à ce que l’on s’habitue au corps et à l’odeur de l’autre. Plus qu’une habitude, c’était devenu une accoutumance, une sensation délicate de familiarité et un plaisir réel de sentir l’odeur de sa peau. Avant, pendant et après. Surtout pendant. Très tôt, j’avais senti une odeur de pain grillé se dégager de sa « carcasse de poulet ». Ces effluves m’avaient étourdie et j’en étais devenue accroc dès le début. Le pain grillé, la mie beurrée, le tabac avant le sexe, le sucre des bonbons ou du soda, l’odeur des vêtements portés la journée ou des réminiscences de lessive. Ce mélange me rendait ivre à chaque fois que l’on se voyait. « Quand je suis ivre… ivre de tristesse », chante Pauline C. Quand je suis ivre… Ivre de son sexe…
– Tu sens le pain grillé !
– Ah bon ? C’est la première fois qu’on me dit ça.
– J’adore. Ça sent vraiment le pain grillé. En plus, le petit déjeuner, pour moi c’est sacré. C’est véritablement le moment que je préfère et surtout que je privilégie dans la journée.

Depuis cette révélation, je le lui disais à chaque fois que l’odeur me parvenait pendant l’amour. Pourtant, il ne semblait pas être réceptif à cette odeur-là. Il en connaissait certainement d’autres, et il m’avait dès lors sans doute associée à des odeurs que je ne percevais pas moi-même. Sauf ce jour-ci. Hum, cette bonne odeur de pain qui sort du grille-pain, je ne m’en lasse jamais, pensai-je sans rien dire à haute voix, cette fois-ci.
– L’odeur du pain grillé. Je la sens, me dit-il ouvertement.
Il se moque de moi ou il la sent vraiment ? Il sait que je le lui fait remarquer à chaque fois.
– Maintenant je la sens, repris-t-il. C’est dingue. Je crois que c’est le mélange de nos fluides qui crée cette odeur.
– Tu crois ?
– Oui, je pense bien car je ne la sens jamais dans d’autres circonstances. Mais aujourd’hui c’est flagrant.
– Faire l’amour et prendre le petit déjeuner en même temps, c’est le grand luxe ! J’adore ça.

Il était tout heureux. Cette fois-ci, plus que les autres fois encore, j’observais attentivement ses yeux. Ils étaient étincelants. Je m’arrêtais sur cette lumière. Des yeux étincelants de désir et d’amour. Cette lueur dans l’œil était différente de la lumière du regard intense qu’il avait parfois lorsqu’il me regardait longuement. Il m’absorbe de temps à autre pendant l’amour ou lors d’échanges en face à face. Cette fois, il m’éblouit. Je sentais les yeux me brûler à force de m’attarder sur ces pupilles en feu. Nous avions le corps trempé et les yeux en feu.

Cette nouvelle première fois dans la chambre « Jardin secret » me laisse un souvenir très particulier, comme si nous avions refait l’amour pour la première fois en nous étant apprivoisés déjà. Nous avions pris une douche avant de faire l’amour. Quand il m’avait saisie, j’étais déjà trempée de sueur, brûlante de désir pour lui. Et l’atmosphère extérieure était lourde. J’avais l’impression de dégouliner. La douche tombait à point nommé. Cette douche me rappela notre véritable première fois. Nous nous sommes un peu attardés sous cette douche, comme si elle nous servait de refuge ou de confessionnal. Le jet d’eau me rappelait cette nuit d’hiver où nous étions sortis du cinéma sous une pluie torrentielle. Tous ces souvenirs se mélangeaient à mesure qu’il m’embrassait le corps, qu’il me léchait les cuisses et me touchait le sexe. Il se releva doucement et me fixa. Tendrement, il me dit qu’il n’avait jamais cessé de me désirer. Il avait un air attendri, poétique et exalté, sous cette pluie d’eau douce qui coulait, qui coulait, qui coulait… Sans qu’on s’en aperçoive, le sol était trempé. Nous avions inondé la salle de bains. Mais nous étions ailleurs. Le lit n’était plus très loin.

Pendant quatre heures, nous n’avons pas cessé de nous regarder. Nous avons ri, comme à chaque fois. « T’as le riant, j’aime ça », comme il dit. Nous avons beaucoup parlé. Je lui ai dit qu’il devait lire Passion fixe pour comprendre ce que j’entendais par « canards mandarins » pour décrire nos corps fusionnés. Nos corps glissaient l’un sur l’autre, tout va-et-vient n’était que douceur et accord. ACCORD PARFAIT.
Accord parfait des gestes, accord parfait des deux sexes en ébullition, accord des yeux emplis d’une joie lubrique et sensuelle, accord des sensations et des sentiments. Rien ne pouvait être plus clair. On adorait la position de la cuillère. Nous n’étions plus de ce monde. Nous étions dans notre univers.

On sentait tous les deux le pain grillé. Ainsi, on se serait alors un jour aimé ? Était-ce possible ?  Ce jour-ci pouvait en témoigner.

Chaque fois était unique. Chaque fois, le désir était entre nous, l’envie ne nous quittait pas. Une fois ne ressemblait jamais à une autre. C’est surement l’un des avantages de ce genre de relation. Le sexe par intermittence, entrecoupé de masturbation physique et intellectuelle prononcée, permettait l’éveil constant des sens. Pour lui, les miens étaient toujours en éveil.
Mais cette nouvelle première fois revêtait quelque chose de particulier. Du particulier inscrit dans une étrange simplicité mêlée à l’intensité de nos corps, à une harmonie rarement égalée. Cette première fois sentait délicieusement bon le pain grillé, comme au réveil, à la lumière caressante d’un matin d’été transperçant le feuillage des arbres qui viendrait se réverbérer sur la mosaïque immaculée d’une terrasse portant la table d’un copieux petit déjeuner.

Une réflexion sur “L’odeur du pain grillé

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