Cher F.,

Je ne sais pas ce qui me pousse encore à t’écrire. Après plus d’une semaine pendant laquelle tu as passé ma dernière lettre sous silence, j’ai enfin su que tu l’avais lue. Mais silence radio. Aucune réponse. La seule réaction que tu as eue est de n’en avoir eu aucune. Je me demande pourquoi tu me maltraites ainsi et pourquoi je t’écris, encore et encore. C’est comme si ce geste – prendre la plume, voir cette encre bleue s’écouler sur le papier – parvenait presque à corriger ma peine, à combler ton éloignement, à prendre ta place.
Effet placebo ? À chaque fois que je t’écris, je ressens un apaisement certain. Aujourd’hui, tu t’es interrogé sur la signification du mot sérénité, et le dictionnaire t’a renvoyé vers serein. Pour plaisanter, je t’ai dit que ce n’était assurément pas ma qualité première, sauf peut-être lorsque je t’écris.

C’est pourquoi j’ai toujours l’intention d’écrire ce nouveau carnet d’été, à ton attention. Il sera peut-être moins éclectique que celui de l’été dernier, même si tu l’avais bien apprécié, si mes souvenirs sont bons. Mais il est certain que les mots, les sens, les sensations que je coucherai dans ce carnet te seront adressés, d’une manière ou d’une autre. Vu la tournure qu’a pris notre relation, je ne crois pas qu’il serait intelligent de te le confier cette fois. Ce serait même stupide. Ce serait comme te faire une énième déclaration alors que l’on n’est plus. Il faut se rendre à l’évidence et savoir couper le cordon. Cela se fera sans doute progressivement, par l’écriture, manifestement. De toute manière, tu as toujours trouvé que mes écrits avaient ce pouvoir cathartique. C’est on-ne-peut-plus vrai, je pense. Et puis, je me trouve ces derniers temps déjà suffisamment idiote pour écrire à une personne qui ne me lit plus.
Ces lettres, autrefois vivantes, tombent à présent dans une sorte d’archives, un registre épistolaire intime et secret. Pourtant, j’ai du mal à qualifier ce recueil d’écrits, né « sous la couverture », de journal intime. C’est peut-être prétentieux, mais j’ai la profonde conviction que mes lettres ont une dimension philosophique et donc une portée bien plus sérieuse et singulière qu’un journal intime d’une ado de quinze ans.

Je n’irais pas jusqu’à dire que ce plaisir intellectuel me suffit – ta chair me manque, ta présence et ton interaction encore plus – mais il canalise mon énergie, il comble ce vide parfois si fortement ressenti, comme une douleur vive qui me prend dans le dos, dans la poitrine ou dans le ventre, ou partout à la fois. En d’autres mots, cette activité est une échappatoire aux petites vicissitudes de ma vie ; j’en ai grandement besoin en ce moment.

J’espère que le faible (et le mot est faible) lien qui nous unit toujours donnera encore de l’encre à ma plume pour chasser les démons un temps et écumer mes tourments.

À toi,

f.

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