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Cher F.,

Je ne vais pas bien. Posés comme ça, ce sont des mots qui n’invitent pas à poursuivre, je le conçois. Néanmoins ce n’est pas très grave, puisque tu ne me liras pas. Mais, comme tu le sais, j’ai besoin d’écrire dans ces moments-là.

Depuis le lever, la lumière m’éblouit, je peine à garder les yeux ouverts, j’ai eu des sueurs chaudes tout l’après-midi.
Debout, mes jambes ne me portent plus. J’ai envie de me mettre à pleurer chaque heure que Dieu fait. Seuls la pénombre et le sentiment d’oubli aident à me rassurer, à me calmer.
Tu me manques, je ne sais pas où tu es, si tes enfants vont bien, si ça s’annonce mieux pour le cadet.

Je suis dans cet état larmartinien. C’est une détresse indescriptible. C’est un mal incurable si l’on s’appuie sur le diagnostic médical. L’air, le thé, le café, rien n’y fait, pas même les plantes médicinales. Si personne n’a lu Graziella, personne ne peut comprendre cet état. J’accuse bien sûr mes hormones en grande partie, elles peuvent me mettre parfois bien mal en point, me mettre hors de moi, hors d’état, hors d’état de vivre, mais hors d’état d’aimer, certainement pas. Car il y a plus que ces aléas. Il y a toi. Comment un être humain peut-il faire chavirer un cœur comme ça ? To be human is to love, chante Sia.

Tu me manques. Je ne sais pas où on en est. Ce n’est plus jamais le bon « timing » pour te dire ce que je ressens, pour t’exposer mes sentiments. Tous ceux-là, je ne sais plus quoi en faire à présent. Ils sont devenus envahissants car je ne peux plus les partager avec celui qui fut autrefois mon ami, jadis mon amant. Penser à toi est devenu si entêtant. J’aimerais te laisser tranquille, j’aimerais t’en remettre à ta solitude, à ta tristesse, à tes migraines, à tes enfants, j’aimerais avoir d’autres idées fixes ou flottantes, d’autres penchants, peu m’importe, et puis ce ne sont pas les occupations qui manquent entre mon mari et mon enfant, j’ai aussi d’autres amis à penser, et il y a le travail, tellement imbriqué dans nos vies, si prenant, mais… je n’y arrive pas. Je veux être avec toi. Quel est le mal à cela, dis-moi ?

Si un simple baiser faisait de toi un condamné, imagine un peu ce que représente une année de coucheries, une année passée nue par intermittence à tes côtés. J’en suis obsédée. Les images de nos rendez-vous ne me lâchent plus, en journée ou la nuit, quand je suis à l’écart du monde, quand je suis dans mon lit, quand je me retrouve seule dans cet ascenseur, quand je remonte ces rues et ces chaussées que nous avons toutes sillonnées, quand je traverse ces parcs, alors ta présence, ta cadence, ton corps, l’odeur de la cigarette sur tes lèvres et ce qu’il en reste sur tes mains, ces sensations me collent à la peau. À la peau et au cœur. Tu sais, ce « truc qui m’colle encore au cœur et au corps ». Quand je ne vais pas bien, je ne repense qu’à ces moments où le temps s’interrompait. Ces instants où seules les feuilles des arbres vivaient, voltigeaient, s’envolaient; pendant que l’on papillonnait, le reste n’était plus, plus rien ne comptait.

« Remember when we had it all?
Remember when you took my calls?
You were my whole world
You were my whole world »

Mais c’étaient les débuts, d’accord, d’accord,
ce n’est plus le moment, d’accord, d’accord…

Si j’avais su à quel point tes enfants avaient une telle force d’inertie, si j’avais pressenti qu’un jour je m’attacherais si fort à cette relation en dehors du droit chemin, j’aurais voulu qu’il y ait « un accident » ce jour-là. Cette première fois aurait pu changer le cours de notre vie. C’eût été permis… qui l’aurait interdit ?
Quand tu me dis que tu n’aurais jamais dû faire des enfants, quelle connerie ! S’ils n’étaient pas là, où en serais-tu ? Survivrais-tu ?
Si j’avais pu avoir un enfant de toi, les choses auraient pu être autrement. Au moins, j’aurais eu un « argument » pour faire partie de ta vie et te faire comprendre ce que signifient le lien et l’attachement.

Aujourd’hui, qu’est-ce que je signifie ? Cet éloge gratuit et interposé dans tes messages, je ne l’ai pas bien compris. Une force de vie, un engagement, une capacité à relever le gant dans des situations inconfortables, mes lectures, mes écrits… Tous ces attributs que tu me donnes partent en lambeaux quand tu t’accuses d’imposteur à la ligne qui les suit et quand tu prétends une fois de plus que tu n’as pas le temps, plus jamais le temps, et que tu ne trouves que répondre à ce que j’écris. Oui, tous ces attributs sont nuls et non avenus s’ils font que tu te sens encore plus bête, plus creux et plus vide.

Je ne suis pas une femme d’exception. Je suis une femme d’émotions. Quand tu m’écris que c’est ce temps (que tu n’as plus soi-disant) ou plutôt l’interruption du temps qui t’a plu dans notre relation, j’aime cette réflexion. Elle est positive, elle laisse entrevoir une forme d’espérance. Si tu peux trouver une forme de tranquillité lorsque le temps s’arrête, alors viens me retrouver…

Cher F., si tu te sens submergé par la tristesse, si les forces te manquent, si le temps malmène nos désirs comme il se joue de nos sentiments, laisse-moi alors te donner de la force, laisse-moi interrompre ton temps pour que tu puisses me désirer encore, pour que tu puisses retrouver l’envie et la joie de me lire, pour que tu puisses m’encourager à m’investir encore dans tout ce que j’entreprends.

Tiens, je te laisse sur cet aphorisme un peu stupide mais qui vient de me sauter aux yeux en lisant Sagan : elle dit « j’avais le temps de tout, je n’avais plus le temps rien. » Dire qu’elle passait son temps à écrire, c’est qu’il y a bon espoir, n’est-ce pas ?

Faites que Dieu me donne encore du temps et de l’énergie pour t’écrire même si c’est en vain. Mais comme je n’y crois pas, on verra bien. Je pense que je ne devrais plus compter que sur moi; ma grand-mère me répétait toujours « Aide-toi et le Ciel t’aidera ». Et j’en reviendrai aussi à ton éloge (« ma force de vie, mon engagement, ma capacité à relever le gant dans des situations inconfortables, mes lectures, mes écrits »…). Je l’ai peut-être compris en définitive.

Tiens, tu ne devineras jamais ce que Sagan écrit sur la page d’après : « Au fond, la seule idole, le seul Dieu que je respecte étant le temps, il est bien évident que je ne peux me faire plaisir ou mal profondément que par rapport à lui. »

Je t’assure qu’on ne sait jamais concertée elle et moi. Le plus drôle dans toutes ces coïncidences littéraires c’est que si je voulais vraiment l’intégrer dans mes lettres intimes, comme si on aurait un jour pu l’être, elle et moi, elle porterait la même initiale que toi, mon cher F.

J’en ai fini de citer ces Bleus à l’âme, même si je dois dire qu’ils m’ont bien réconfortée depuis le début de cette lettre qui s’annonçait mal. Lire et t’écrire ont une fois de plus été souverains.

Puisse-tu m’aimer encore un peu de ton côté. (« Ne le considère pas comme un problème… »)

Avec tout mon amour,

f.

P.s.: outre Sagan, petits remerciements express également à Cabrel (un autre F. !), Hardy (une autre F. !) et Voulzy qui trottent toujours en tête. C’est bon pour la nostalgie. Sia compense quant à elle par sa touche contemporaine.

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