À toi (« À Dieu »),

J’aimais notre complicité professionnelle, avant tout. J’aimais notre complicité personnelle, surtout. J’aimais notre complicité intime, corporelle, beaucoup, beaucoup trop. Mais tu n’es pas le bon, bon sang ! Bon sang de bonsoir ! Bonté divine ! comme disait ma grand-mère.

Le soir tombe. Je suis lasse. Je suis lasse et fatiguée de cette journée. Mais je suis satisfaite. Je suis contente de la manière dont elle s’est déroulée. Comme prévue et en même temps très spontanée. Rien n’était forcé. Tout allait.

Tout va bien. C’est rare de faire ce constat de but en blanc, comme ça. Tout est allé très bien. Mais cette fatigue est un poids. D’où vient-elle ? L’hiver fut dur, mais il n’y a pas que cela. Je suis lasse… Inlassablement, je le ressasse. Mais de quoi suis-je donc lasse ? Est-ce que le « Bore-out » me guette ? De Guère lasse, c’est le titre d’un roman de Sagan. Je m’égare…

Alors, je jette l’encre dans mes carnets.

Ces derniers jours, j’ai songé à d’autres titres qui pourraient faire l’affaire. L’imposture, Laisse-moi te lire, On regrettera plus tard… C’est idiot, n’est-ce pas, d’inventer des titres à tire-larigot alors que le contenu n’existe même pas ? Enfin, il existe, mais il déambule, dans ma tête, sans que je ne couche rien sur le papier pendant des jours. Il y a bien eu des prémices, Le Bonsaï en était un beau, je crois; il y a bien eu des promesses, Un Sourire marquant en était une belle, je trouve, mais cette tentative n’a pas semblé convaincante. Qu’y a-t-il dedans, concrètement ? Un homme torturé, une femme qui se déshabille. Non, franchement, c’est ridicule.
Et pourtant. Tu as toujours apprécié mes textes. Je t’entends encore me dire « J’adore te voir écrire », alors que tu ne me « vois » jamais écrire. Tu étais peut-être encore drogué ce soir-là que tu confondais voir et lire. Je ne sais pas. Fichue migraine, quand elle te tient celle-là…

Ce qui est raisonnable de dire en revanche c’est que tu as toujours aimé la qualité de mes écrits («de bonne facture», disais-tu). Alors je devrais continuer, essayer de poursuivre, persévérer.

M. dit que tu es comme l’évangile. Grand dieu ! Je sais que tu te prends pour Dieu, mais si M. s’y met… ÉVANGILE. Voyez-vous cela. M. dit que tu es comme une étape, une transition qui m’aidera à trouver ma voie, le bon chemin pour moi. Elle exagère, tu ne crois pas ? Tu me diras, tu m’as déjà aidée à réaliser que j’étais femme et ce que cela signifiait, c’est déjà pas mal. C’est une « bonne nouvelle », on peut voir ça comme ça.

Une femme, ses désirs, ses besoins. Tout ce dont j’ai envie et ce dont j’ai besoin aujourd’hui n’est évidemment pas ce dont j’avais envie ou nécessairement besoin il y a dix ou vingt ans. C’est ce que Rousseau exprime dans sa 6e promenade. Tout est changement. Tout objet vivant est sujet à un flux naturel. L’évolution est donc inéluctable.

Et moi ? Qu’ai-je été pour toi ? J’ai plutôt chamboulé ta vie, fait ressurgir une forme d’agressivité, ce que j’ignorais, s’ajoutant à cette souffrance des phases de dépression chronique. Je ne trouve pas que cela soit un bon signal.

Je repense à cette dernière fois que nous avons passée ensemble : si tu ne connais pas le « transport amoureux », et si tu penses ne jamais le connaître un jour, alors, ce sentiment viscéral, ce lien du ventre que nous connaissions et que je me plaisais à croire que nous partagions véritablement, physiquement, c’était un mensonge ?
Qu’est-ce que c’était en fin de compte pour toi, cette sensation ? L’as-tu seulement ressentie ? Quand as-tu cessé d’être amoureux ? L’as-tu seulement été ? Je ne comprends pas ce qui m’a échappée. À quel moment me suis-je retrouvée seule dans cette relation ?

Sur ce banc l’autre soir, je ne sais pas si l’on s’est quitté pour de bon ou si l’on s’est finalement encore retrouvé, une fois de plus. Je sais que tu ne me liras plus, c’est définitif. Je sais alors que je ne t’écrirai plus.

Cet article compte 666 mots à ce stade-ci – signe ultime du mal qui nous gangrène à présent. C’est drôle, je ne les avais jamais comptés auparavant. Le diable est parmi nous. Il nous a rassemblés et nous a séparés.

Maudits amants.

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