Cher F.,
Une nouvelle fois, je m’étais dit que j’allais m’épancher dans mon carnet pour ne pas te déranger, mais je n’ai pas envie de me sentir isolée ce soir, j’ai envie de partager.
Une nouvelle fois, c’est celui qui me (re)dit je t’aime et qui couche avec moi qui ne me dit pas que je suis belle dans ma jolie robe à pois. Peut-être le pensais-tu ; peut-être ne le pensais-tu pas. Tout le monde m’a trouvée jolie, mais je me sentais surtout jolie pour toi. J’avais envie que tu me le dises, j’avais envie de sentir le désir dans tes yeux, même si aujourd’hui le travail était plus prenant que tout, cela n’empêche pas les sentiments d’exister pour autant, n’est-ce pas ?
Pourquoi me dire que je suis belle lorsque tu me fais l’amour et pourquoi ne pas me le dire simplement dans le quotidien ? Pourquoi ce sont les autres qui le disent et pas toi ? Ne suis-je belle que lorsque je jouis ? Ne suis-je belle que lorsque je te souris au lit ?
Jeudi, cela fera deux semaines que je m’abstiens de t’envoyer des sms. C’est difficile. Je ne sais pas si je m’y prends bien, si j’ai raison de m’en empêcher. En fait je t’envoie des mails ou j’écris pour moi pour compenser, mais cela ne compense rien en réalité. J’ai toujours autant envie de t’écrire, toujours autant envie de me sentir près de toi, proche de toi, en dehors des jours et des semaines qui passent au travail. Les après-midi blottie contre toi (quand je le peux) ne suffisent pas. Ces rencontres n’étaient qu’un prolongement, une continuité de ce que nous étions l’un pour l’autre et non une finalité ou un aboutissement. Le comprends-tu ?
J’ai envie de partager des instants simples et honnêtes avec toi. Mais vu les circonstances, j’ai envie d’être résignée ce soir, car condamnée à ne jamais pouvoir mettre un pied dans ta sphère privée. La semaine prochaine, tu es en congé et je me dis que si tu ne m’écris pas une seule fois, ce n’est même plus la peine d’espérer te retrouver à nouveau dans un lit contre moi, sur moi, sous moi, en moi. J’aurai trop le sentiment d’être cette putain (d’intellectuelle), que tu baises parce que je suis bonne à baiser et être baisée, et qu’il n’y a plus que cela.
N’y a-t-il plus que cela entre nous ? À la longue, je sais que tes attentes ou tes envies ne me séduiront plus. L’homme qui m’a séduite et pour qui j’ai éprouvé des sentiments très vite est un homme qui « partageait plus que du cinéma ». Tu as beau répéter que nous c’est Mélenchon, Queneau, Larmartine et Rousseau, Brassens, Maxime, Pauline ou Nougaro, les balades dans les parcs et le monde à refaire, à redire et à détricoter sans jamais voyager, finalement, il ne reste plus de moi à toi, de toi à moi qu’un homme torturé et une femme qui se déshabille (et qui n’a de cesse de t’écrire), et puis ça s’arrête là.
La tragédie c’est que j’ai encore une folle envie de toi, une envie insatiable de mugir dans tes bras, une envie dévorante de mordre dans ta chair, de la sentir frémir et de m’en étourdir. L’enivrement me prend et m’emporte même quand je ne suis pas avec toi. Encore ce week-end, je ne compte pas les fois où j’ai pensé à toi. Je crois bien m’être caressée trois ou quatre fois, vas-t’en savoir comment et dans quelle circonstance j’ai pu m’adonner à ces gestes érotiques sous mon propre toit, mais il s’avère que j’en ai eu l’occasion maintes fois. Et c’était bon, c’était vraiment « délicieux ». Oh oui, ce baiser de la dernière fois, il était merveilleux et je le sens encore sur mes lèvres. J’attendrai qu’il revienne. Et cette fusion charnelle, puisse-t-elle surgir et me surprendre chaque fois !
L’amour ne participe donc t-il d’aucun principe moral ? Je ne veux pas « attendre » qu’il revienne ce baiser, je sais qu’il reviendra. Car cette attente n’est pas tenable et n’est pas raisonnable. Un peu de dignité, que diable ! je ne suis pas ta prostituée. Je suis ton île, ton autre qui ne demande qu’à ce que sa liberté soit éprouvée. Je ne veux l’éprouver qu’avec toi.
Aime-moi dignement, s’il te plaît. Tu me l’as dit toi-même, ce ventre, ton ventre, c’était faux de dire que je n’attendais rien de lui et tu as tout compris en disant cela : j’attends qu’il m’appelle. Bien sûr que oui. Désire-moi, courtise-moi, réponds-moi. Ne me laisse pas dans ce tiroir pour me ressortir l’un de ces soirs où tu ne tiendras plus, où tu n’auras que l’envie, l’irrépressible envie de me prendre dans tes bras, de me déshabiller, de me mettre dans un lit, de m’envelopper, de me pénétrer et de me susurrer à l’oreille que tu m’aimes.
Enrichis-moi, enrichissons-nous encore. Nous pouvons faire bien mieux et bien davantage que ce que nous en sommes réduits à faire depuis quelques mois. L’amour, bien sûr l’amour, l’amour des corps. Mais nos esprits ont tout aussi besoin d’amour et de frénésie. Donne-moi de la matière, donne-moi ton répondant. C’est ce que j’ai aimé en premier lieu chez toi. Toi, ton être, ta façon d’être.
Laisse-moi de conter ceci à présent, un extrait de la 6e promenade de Rousseau. Comme tu le sais, je t’ai vu, je t’ai lu, je t’ai compris mille fois dans ces Rêveries.
Si les hommes s’obstinent à me voir tout autre que je ne suis et que mon aspect irrite leur injustice, pour leur ôter cette vue il faut les fuir, mais non pas m’éclipser au milieu d’eux. C’est à eux de se cacher devant moi, de me dérober leurs manœuvres, de fuir la lumière du jour, de s’enfoncer en terre comme des taupes. Pour moi qu’ils me voient s’ils peuvent, tant mieux, mais cela leur est impossible ; ils ne verront jamais à ma place que le Jean-Jacques qu’ils se sont fait et qu’ils ont fait selon leur cœur, pour le haïr à leur aise. J’aurais donc tort de m’affecter de la façon dont ils me voient : je n’y dois prendre aucun intérêt véritable, car ce n’est pas moi qu’ils voient ainsi.
Le résultat que je puis tirer de toutes ces réflexions est que je n’ai jamais été vraiment propre à la société civile où tout est gêne, obligation, devoir, et que mon naturel indépendant me rendit toujours incapable des assujettissements nécessaires à qui veut vivre avec les hommes. Tant que j’agis librement je suis bon, et je ne fais que du bien ; mais sitôt que je sens le joug, soit de la nécessité soit des hommes, je deviens rebelle ou plutôt rétif, alors je suis nul.
Quand j’ai lu ce passage, j’ai avant tout ressenti la détresse que tu vis au quotidien de te sentir incompris et seul dans ton propre environnement. Ta famille, ta demeure, tout cela t’appartient et pourtant tu n’es pas chez toi. Tu agis suivant des contraintes et selon un rôle que tu te donnes ou que l’on t’a attribué sans jamais être certain que c’était toi, sans jamais avoir la certitude que c’était toi-même qui t’autorisais à être comme cela par choix, plus que par résignation, plus que par raison. Tu devrais pouvoir mériter que les gens « te voient » comme tu voudrais qu’ils te voient. Mais tu es trop souvent amené à cacher ce « naturel » qu’on ne t’autorise pas. Quelle injustice !
Et qu’en est-il de nous, de moi ? Est-ce que je deviens comme tous ces individus de la société qui te condamnent à ne pas être celui que tu veux être ? Te forcerais-je donc la main ? Au demeurant, je n’ai jamais forcé ton répondant. Tu m’accordais toi-même la grâce de me répondre. Dis-moi, cette interaction que j’implore, cet unisson est-il devenu obligation ? Et est-ce pour cela que ce « je t’aime » était devenu un fardeau pour toi ? Ne t’es-tu pas senti libre de me dire ou de m’écrire que j’étais belle aujourd’hui (si tu me trouvais belle) ? Est-ce par accès de faiblesse que tu rechignes à lire mes derniers courriers et à t’y intéresser ? J’ai peur que mes sollicitations reformulées ne développent chez toi qu’une forme « d’assujettissement » non nécessaire et, partant, absolument non désiré.
Alors, la volonté de nous lier autrement que par la chair s’est-elle tout à fait dissipée ? Avec le temps (3 ans déjà), tout ce tralala semble bel et bien être devenu un poids qui pèse un peu trop sur ton dos, ce dos qui souffre de bien des maux. Pourtant, même si l’échine est courbée, tu sais quand même te faire valoir quand tu l’as décidé.
La dernière fois que nous avons fait l’amour, j’ai ressenti une harmonie incroyable, un accord parfait des corps. Selon moi, il serait impossible de réaliser un tel accord si nous étions en désaccord sur le principe : pouvons-nous encore jouir l’un de l’autre sans nous écarter de nos fondamentaux ?
Cette harmonie que nous connaissons est rendue possible par le respect que nous nous accordons et par la compréhension que nous avons l’un de l’autre. Je ne te dirai pas ce que tu veux entendre, comme tu ne me dis pas ce que j’ai envie d’entendre (il se peut que tu n’aimes pas les robes à pois ou que je n’étais pas jolie à tes yeux et je ne te demanderai jamais de me l’exprimer quand tu ne le penseras nullement, tu le sais). Mais passons sur l’anecdotique robe qui est sans importance. En revanche, il y a un élément que tu ne dois pas oublier, c’est ce qui nous a défini en premier lieu, lorsque nous nous sommes rencontrés et ce pour quoi je me suis laissée prendre à t’aimer.
Aussi je te le demande, me permettras-tu de cultiver le plaisir sans me rendre malade de toi ces prochains jours, quand tu seras absent ? J’ose encore penser que ces lignes noircies en valent la peine, puisqu’elles me soulagent le temps de retrouver ton visage dès demain. Je pense que le manque est une vertu, de surcroît. Mais n’en abusons pas, veux-tu ? N’est vertu que ce qui peut sembler profiter à l’amélioration, à l’encouragement, à l’esprit et l’estime de soi.
Mon cher F., redonne-nous cette part belle qui nous rendait vertueux et le plaisir des sens ne s’en portera que mieux.
À toi,
f.