Lettre à Sagan
Le temps d’un week-end, je suis partie à ta rencontre, toi l’auteure célèbre de Bonjour tristesse. Ces quelques lignes, les premières de ton premier roman, marquèrent (à tout jamais ?) la littérature française :

«Sur ce sentiment inconnu dont l’ennui, la douceur m’obsèdent, j’hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse. C’est un sentiment si complet, si égoïste que j’en ai presque honte alors que la tristesse m’a toujours paru honorable. Je ne la connaissais pas, elle, mais l’ennui, le regret, plus rarement le remords.
Aujourd’hui, quelque chose se replie sur moi comme une soie, énervante et douce, et me sépare des autres.»

Cet hiver, la ville qui t’a accueillie du temps de ton ennui, de ta fortune, de ton loisir, de ta passion pour les courses hippiques, te consacre une exposition bibliographique et photographique au Point de Vue, ainsi qu’une représentation musicale et séance de lecture au théâtre du Casino. J’avais entendu parler de cet hommage à toi, Françoise Sagan, à l’amour et aux mots, par une émission de France Inter qui m’avait fort captivée. Alors j’y suis allée.

L’exposition est sobre, succincte, expéditive. On y retrouve quelques clichés, populaires ou pris sans doute à la volée — tu avais vraiment l’air d’un «petit monstre» sur certaines d’entre elles, et ta coupe à la garçon manqué n’est pas sans me rappeler un certain visage –, des extraits de revues de type Paris Match ainsi que des extraits de tes romans, bien entendu.
La lecture musicale est interprétée par deux femmes, Anne-Marie Philippe et Maissiat, les mêmes qui avaient animé l’émission de France Inter et qui m’avaient donné l’envie de me livrer à cette escapade deauvillaise.

Déception légère. Déception car la comédienne n’a pas la voix ni le ton d’une ado de 17 ans lorsqu’elle se prend à lire des passages de Bonjour tristesse. Il ne me semble pas reconnaître la voix de Cécile. Elle est trop mûre, trop mature, trop assertive. En revanche, elle cadre mieux avec le personnage d’Anne. On y croit davantage.
La chanteuse prend une voix plus douce, plus posée, mais là encore, il me semble que le timbre de la voix dénote avec le personne que les deux actrices veulent illustrer.
On ne sent pas la révolte, l’ennui, la détresse, la lassitude, tous ces côtés exaspéré, sombre, dramatique, caractéristiques du tempérament d’une adolescente. Heureusement, l’exaltation ressort parfois bien dans la voix quand Cécile croit qu’elle est amoureuse, quand son cœur s’emballe, sans savoir pourquoi. Mais globalement, j’ai du mal à me plonger dans le récit récité, je n’entends pas vraiment les protagonistes tels que je me les étais imaginés s’exprimer en lisant. Je suis déçue.

Cependant, il y a eu ce moment, cet instant inattendu où j’ai fini par accrocher. C’était à la lecture de La Chamade, par Maissiat. Ma gorge s’est nouée, mes doigts se sont serrés, repliés sur mes cuisses, je me suis mise à pleurer silencieusement, à l’évocation de Lucile, partagée entre son amant parisien et Antoine. Les mots résonnaient si forts dans ma tête, comme un tambour sur mes tempes, bien que prononcés presque à demi-mot par Maissiat. Je ne pus m’empêcher de penser à lui, à cet amant que je regrettais et qui me manquait souvent, à cette relation dont j’avais souffert alors que je pensais qu’elle me faisait le plus grand bien et qu’elle m’aidait à me retenir près de mon mari, alors qu’elle n’a fait que ressortir cette autre nature profonde, dans le fond, comme chez Lucile.

Le contraste alors se fait : j’avais lu Bonjour tristesse et j’ai été déçue du récital. Je n’avais pas lu La Chamade et c’est l’évocation de ce texte qui m’a fait chavirer. Tant mieux. Je ne suis pas venue pour rien. Je me suis alors demandé si la lecture silencieuse de La Chamade me procurerait le même effet. Je le crois bien. Un certain sourire m’avait beaucoup parlé. Je m’étais retrouvée si souvent dans les pensées et les ressentiments de Dominique.
Françoise, tu avais raison. Il y a toujours quelqu’un pour dire que tes personnages nous ressemblent si bien qu’ils donnent l’impression que l’on t’a toujours inspirée. Moi, tu ne me connais pas; on ne se connaîtra jamais. Pourtant, tes romans me semblent si proches de ma réalité qu’il m’est difficile de m’en éloigner.

Similitudes fortuites ou forcées ?

Je suis venue te retrouver à Deauville car je voulais comprendre ce qui avait fait ton succès – ou ton insuccès d’ailleurs -. Je ne comprenais pas toujours très bien d’où venait une telle popularité dans l’histoire de la littérature. Mais en réalité, il s’agit d’une popularité générationnelle. Je me sentais si jeune, si fraîche, si dévergondée au milieu de cette population, constituée de têtes blanches ou grisonnantes, somme toute attendrissante, à contempler tes clichés et tes œuvres. La moyenne d’âge devait bien se situer aux alentours des 60 ans. Génération SAGAN.
Je n’en fais pas partie, mais à la lecture de tes récits, je me sens comprise. Je me suis mise à te lire par curiosité tout d’abord, ensuite par véritable réconfort. Je crois que c’est ce que l’on appelle le lien, cette complicité implicite qui s’instaure entre l’auteur et le lecteur.
Je me suis mise à te lire aussi par aveu, aveu d’un choix de vie anti-conformiste. Sans pour autant rentrer dans le débat des féministes. Cet élan, cet engouement soudain pour ton écriture est bel et bien personnel, et pour l’heure, qui mieux que toi pourrais me comprendre, dans une société si peu ouverte d’esprit, si fermée à des considérations de petites mœurs.
C’est dommage. Je crois que cela en prive plus d’un.e d’accéder au bonheur ou à tout le moins de vivre pleinement. Il suffirait de l’accepter et d’avoir le courage d’oser (pardonne-moi ce pléonasme).

Je m’en remets alors à toi pour trouver refuge dans tes mots, par amour des mots et au nom d’un amour libre, affranchi d’une morale et de tout jugement.
J’ai aussi voulu te rendre hommage en reprenant ce début de Bonjour tristesse qui m’interpella tant.

«Sur ce sentiment connu dont la langueur, l’apaisement m’obsèdent, j’ose apposer le nom, l’intime et tendre nom de paresse. C’est un sentiment devenu si désuet de nos jours, si contre-productif que j’en ai souvent honte, alors que la belle procrastination m’a toujours paru fort louable. J’ai souvent rejeté cette paresse, sans la connaître vraiment, lui préférant avec ferveur et conviction proactivité, ardeur, vivacité.
Aujourd’hui, quelque chose, quelqu’un se détache de moi, furtivement, insidieusement, comme un tremblement de terre sourd, me séparant du reste du monde.»

f.

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